Le monde existe car nous le voyons. Nous lui sommes liés au travers de la perception que nous en avons. Le fait de toucher les choses nous permet par exemple de réaliser que nous sommes partie prenante du monde. Un autre postulat essentiel de notre relation au monde est que ce que nous pouvons voir existe. Si l’on admet que ce qui peut être vu est bien réel et existe, un doute s’installe immédiatement : ce qui est visible n’est peut être pas l’ensemble du monde, il est probable qu’il cache son double invisible. L’illusion est peut être plus vaste encore, l’immensité infinie s’étend au-delà du visible. Les faits ne sont qu’une possibilité de la réalité, une réalité non contraignante qui ne saurait être la même pour tous, mais plutôt un ensemble de vues subjectives sur le monde.
Dieter Rübsaamen se penche sur le versant inconnu du monde, il se tourne vers les limites du visible et même au-delà, il cherche à être au plus proche de la réalité même si cette dernière disparaît. Son objectif est d’écouter l’invisible pour ensuite le figurer. Son travail est aussi multiple que les problématiques qu’il aborde. Les changements de perspective offrent de nouvelles réalités. Les choses ne sont pas immuables. Le travail de Rübsaamen est un processus en perpétuelle mutation qui ne se laisse pas enfermer dans les catégories.
L’artiste utilise dans son travail les matériaux les plus divers: reliques de la civilisation, protocoles, plans, radiographies, des objets dont la signification est transformée par le travail de Rübsaamen en les détournant de leur utilisation première. Parmi ses multiples sources d’inspiration, figurent aussi bien les Beaux-arts, la littérature, la philosophie, les sciences naturelles et humaines que les technologies de l’information. Il emploie le langage en tant que système de symboles et en désigne les limites. La figuration au travers de ses peintures offre une nouvelle forme de compréhension. Son travail se nourrit de différentes perspectives. Il entend dépasser le descriptif par le descriptif. Son art met en lumière que les sentiments, les pensées et l’inconscient déterminent la réalité et la perception.
Dieter Rübsaamen adopte la logique du chercheur, avec les mêmes exigences de précision et de connaissance. Il entreprend des recherches approfondies dans le domaine des sciences naturelles qu’il dispute afin de mettre au jour des langages, des modèles, des symboles, voués à illustrer l’invisible. En s’attachant à l’ensemble d’œuvres ici représenté, on remarque que l’artiste a eu recours à des superpositions d’images – ainsi qu’à d’autres techniques – avec les photos prises au CERN. Les recherches sur les particules élémentaires conduites dans ce centre visent à une meilleure compréhension des mécanismes qui régissent l’univers, elles ouvrent de nouveaux champs, toujours plus éloignés de notre mode de représentation habituel qui a recours à des images. Au point d’ailleurs où l’enrichissement du socle des connaissances va de pair avec celui de l’inconnu. Dieter Rübsaamen accepte cette apparente contradiction. Le caractère incertain et ouvert des choses constitue pour lui une source d’inspiration.
A l’occasion du 70ème anniversaire de l’artiste, le Künstlerforum Bonn en coopération avec le musée de Bonn présente une rétrospective retraçant l’œuvre de l’artiste des années 1950 à aujourd’hui. Le commissariat de l’exposition a été assuré en grande partie par l’artiste lui-même. Cette rétrospective offre un regard authentique sur une œuvre aux multiples facettes, qui ne cesse de se réinventer en intégrant de nouvelles possibilités, une œuvre en évolution constante.
Volker Adolphs
Traduit par Sébastien Cherruet